UN PETIT TOUR CHEZ FRANCOIS

UN PETIT TOUR CHEZ FRANCOIS

Le OUI-JA

Pour des personnes inexpérimentées ou influençables, ouvrir les portes du paranormal est un acte pouvant conduire à des déséquilibres graves, voire dangereux.

La pratique du spiritisme en amateur, que ce soit à l'aide du jeu du Oui-ja ou de techniques comme l'écriture automatique, est-elle réellement sans danger ? Plusieurs dérapages, conduisant parfois au meurtre satanique, attestent du fait que tout le monde ne peut pas impunément franchir les portes de l'occulte.

Quelques jours avant les fêtes de Noël 1995, dans le quartier de Mayfair, à Londres, David Mac Callum aborde deux écoliers âgés de 15 ans et leur propose de venir chez lui pour écouter du heavy metal et visionner quelques vidéos "super-rares". Les deux adolescents, Michael Earridge et Stephen Cullan, sont "accros" à cette musique ; bien qu'émanant d'un inconnu, ils acceptent l'invitation et suivent ce nouvel ami, de quelques années leur aîné.

Dans l'appartement de Mac Callum, les deux invités traversent un living-room dont l'ordre et la propreté tranche avec l'aspect de la chambre à coucher de leur hôte : David semble vivre dans un désordre indescriptible, parmi un amoncellement de disques d'Iron Maiden et de Metallica, mélangés à une montagne de livres, tous consacrés à Charles Manson, le serial-killer illuminé, assassin de l'actrice Sharon Tate.

Surprise, au centre de la pièce plongée dans une demi pénombre, se dresse une sorte d'autel, drapé de noir et orné à chaque extrémité de hauts cierges allumés. A ses invités, quelque peu interloqués, Mac Callum explique d'un ton paisible : "Cet autel est celui de Satan. Mon ami Dennis et moi-même vouons au diable un véritable culte. Car c'est lui qui nous permet de communiquer avec les morts, par l'intermédiaire du Oui-ja".

Il désigne du doigt, souriant, le plateau de jeu disposé au pied de l'autel et propose : "Avant d'écouter un peu de musique, voulez-vous participer à une partie? Je vais vous initier en attendant Dennis..." Intrigués, Michael et Stephen acceptent. Sitôt arrivé Dennis, les quatre jeunes gens prennent place, assis à même le sol, autour du plateau du Oui-ja et, selon l'usage, chacun pose une main sur le triangle mobile placé au centre du jeu.

Presque aussitôt, la voix étrangement rauque de Mac Callum, casse le silence : "Satan, su tu es parmi nous, donne-nous tes ordres ! Dicte tes volontés ! Satan, que désires-tu que je fasse ?" La réponse parvient au seul Mac Callum. Il se lève brusquement, saisit le jeune Michael à bras le corps et le jette sur le lit où il l'immobilise. Puis un couteau de combat surgit dans sa main : avec une rare sauvagerie, il va poignarder sa victime. Onze fois, la longue lame effilée s'abat sur le visage et le corps du malheureux garçon. Dennis, qui maintient tant bien que mal Stephen, hurlant de peur, crie enfin à l'adresse de Mac Callum : "Arrête, David, mais arrête-toi. Il est mort".

Dans un sursaut, Stephen parvient à se dégager et s'échappe à toutes jambes. Restés seul, David et Dennis enroulent le cadavre dans un drap et une couverture. Ils ont décidé de le transporter dans le coffre de leur voiture et ils s'en débarrasseront dans une décharge publique, située entre deux blocs d'immeubles de la banlieue sud-ouest de Londres.

Arrêtés peu après sur les indications fournies par le rescapé de la tuerie, il s'avéra que les deux adorateurs de Satan, notamment Mac Callum, faisaient déjà l'objet d'une double enquête psychiatrique et policière.

Selon les rapports disponibles, le macabre et l'occulte occupaient de façon obsessionnelle l'esprit malade de Mac Callum, sevré de musique heavy metal et des appels au sang, à la mort et aux rituels sataniques qu'elle inclut. Sur le cadre de sa télévision, Mac Callum avait par exemple griffonné ces textes d'Iron Maiden : "Tueur diabolique. 666 meurtres".

Lors de sa comparution en justice, aux côtés de son ami Dennis, il expliqua que des voix transmises par le Oui-ja l'avaient poussé de façon irrésistible à commettre son crime. Les juges, le considérant plus comme un dément "massacreur" que comme un banal meurtrier, le firent enfermer à vie à la prison de Broadmoor, dans le quartier de haute sécurité réservé aux fous criminels. Ils condamnèrent son complice à dix ans de réclusion dans un établissement psychiatrique.

De la noirceur de cette horrible affaire émerge une interrogation : la pratique effrénée du Oui-ja par Mac Callum a-t-elle exercé une influence déterminante dans la conduite criminelle de ce garçon de 20 ans ? La réponse réside dans un examen attentif de l'environnement du Oui-ja que ses inventeurs prétendent n'être qu'un jeu de société... qui pourrait bien être, en réalité, un véritable fait de société !

UN JEU DE SOCIETE ?

Le Oui-ja tire son nom de la réunion du "oui" français et du "ja" allemand : le jeu est censé apporter à ses utilisateurs des réponses émanant d'esprits défunts. En effet, sur un plateau rectangulaire en bois verni, s'inscrivent en demi-cercle et sur deux lignes les 26 lettres de l'alphabet et, au centre du plateau, repose un triangle de plastique mobile placé sur des roulettes ou du feutre.

Ce triangle est un "indicateur de message", un "pointeur" qui se meut, théoriquement, par sa seule volonté ou sur les ordres des morts. Aux questions posées par les participants qui ont posé leurs doigts sur ce pointeur, ce dernier répond en se déplaçant, formant lettre après lettre des mots entiers. Il peut aussi simplement s'arrêter devant le "oui" ou le "non" quand le joueur n'attend qu'une réponse affirmative ou négative à sa question.

A dire vrai, le Oui-ja n'est qu'une des multiples techniques employables pour communiquer avec les morts. On sait que, pour contacter leurs ancêtres, les anciens Egyptiens usaient d'une méthode voisine : suspendu à un fil au-dessus d'un plateau décoré de symboles, un anneau formulait les messages des disparus. Allan Kardec, l'apôtre du spiritisme, utilisait comme d'autres médiums d'avant-guerre, des techniques rudimentaires très proches, notamment celle de la "corbeille-toupie".

Considéré comme un simple jeu de société lorsqu'il fut inventé par les frères William et Isaac Fuld, à Baltimore (Etats-Unis) en 1898, le Oui-ja prit une autre dimension à l'occasion des deux guerres mondiales. Parce que les veuves de guerre souhaitaient désespérément communiquer avec leurs maris tués au combat, la demande de Oui-ja explosa au point que les frères Fuld parvinrent difficilement à la satisfaire.

Par la suite, en 1996, les fabricants de jeux américains Parker Brothers achetèrent aux successeurs des Fuld les droits de production du Oui-ja. Heureuse inspiration : on estime qu'à ce jour, 25 millions de coffrets ont été vendus dans toute l'Amérique et en Europe.

L'ESPRIT ET LA MATIERE

En dépit d'un indéniable succès commercial, le Oui-ja s'inscrit dans la catégorie des phénomènes paranormaux sujets à caution. Pour beaucoup de sceptiques, ce sont-ce les tressaillements involontaires des muscles des joueurs qui provoquent les déplacement du "pointeur" sur le plateau du Oui-ja. Pourtant, de l'avis de nombreux chercheurs et expérimentateurs du Oui-ja, il est improbable que de tels tressaillements suffisent à mouvoir le "pointeur" de manière significative et l'amènent à formuler, via l'alphabet figurant sur le tableau, des phrases cohérentes.

Il est finalement plus vraisemblable que les messages soi-disant émis proviennent tout simplement du subconscient des pratiquants. Quoi qu'il en soit, si l'on considère le nombre de cas où la pratique du Oui-ja a perturbé ou traumatisé les joueurs, le phénomène va bien au-delà de simples spasmes...

UNE VOIE VERS L'ENFER ?

Un simple jeu de société, le Oui-ja ? Voire... pour certains, c'est plutôt un outil dangereux lorsqu'il tombe en de mauvaise mains. David Farrant, directeur de la société Britannique de l'occulte, considère le Oui-ja comme une porte ouverte sur des forces redoutables et malfaisantes. "Si vous pénétrez des entités, des forces occultes par l'intermédiaire du Oui-ja, ignorant ce que vous faites, elles peuvent devenir une réalité vivante et faire de vous leur prisonnier, comme elle le font avec quiconque tente de les contacter" précise David Farrant.

Montrant volontiers un recueil fourmillant de coupures de presse et de reportages évoquant les conséquences fâcheuses d'un recours au Oui-ja, Farrant fait état de sa propre expérience : "Lorsque j'ai moi-même été amené à pratiquer ce jeu, je l'ai fait dans les meilleurs conditions possibles, c'est-à-dire sous le contrôle de spécialistes. Avant cette première expérience, j'ai donc bénéficié d'une sérieuse mise en garde : "il est indispensable de vous initier à l'occulte, d'en comprendre les bases essentielles. Pour l'heure, il s'agit seulement d'une première étapes""

Farrant allait s'initier pendant... 50 ans, car il étudia le problème tout au long de sa vie professionnelle et ses observations portèrent souvent sur des cas de mortels. Ainsi, en 1993, Mattie Turley, une jeune fille de 15 ans, tuait son père à coups de revolver : les esprits lui en avaient intimé l'ordre lors d'une séance de Oui-ja pratiquée en compagnie de sa mère. Mattie était convaincue que son geste permettrait à sa mère de se libérer de l'emprise de son père et d'épouser un mystérieux "cow-boy". Plus récemment, un garçon de 15 ans Colin Roberts, fut découvert pendu à un arbre dans les jardins d'une église de Belfast (Irland). Avant de se donner la mort, le jeune garçon déclara à ses amis qu'il avait conclu un pacte avec le diable, suppose-t-on par l'intermédiaire du Oui-ja qu'il pratiquait assidûment.

Ces exemples dramatiques signifient-ils que le Oui-ja ouvre les vannes à des entités errantes et leur permet d'accéder au monde des vivants ? La réponse peut varier. Dans le cas de Mattie Turlay, l'explication à son geste meurtrier est bien plus terre à terre. C'est sa propre mère qui fit elle-même mouvoir le "pointeur" sur le tableau, dictant à la jeune fille l'ordre de tuer son père afin de convoler avec son amant !

En revanche, le suicide par pendaison du jeune Colin Roberts reste entaché d'irrationnel. Comment un adolescent décrit par tous comme intelligent, réaliste, en aucune façon schizophrène ou affecté de troubles mentaux, peut-il en arriver à utiliser le Oui-ja pour communiquer avec le diable ?

Psychologue et naguère conseiller en exorcisme, le père Dominic Walker raconte avoir traité plus de mille personnes dont l'existence avait été gravement perturbée par leur tentative d'incursion dans le paranormal.

"Mais, a-t-il confié à un journaliste, je ne crois pas que la pratique du Oui-ja permette de communiquer avec les esprits ; je pense plutôt qu'elle exerce une influence concrète, matérielle, sur notre esprit et c'est bien cet impact particulier qui présente un réel danger." L'opinion du père Walker rejoint d'une certaine façon celle de nombreux psychologues et psychiatres. Pour ces derniers, une intrusion dans l'occulte ne peut nuire qu'aux personnes déjà potentiellement instables mentalement.

Depuis longtemps à l'écoute des victimes du paranormal, l'avocat Gordon Wrigh témoigne : "J'ai longuement discuté avec nombre d'adultes et d'enfants qui on tenté de se suicider ou se sont mutilés. A les entendre, leur comportement n'avait rien d'impulsif, mais procédait  plutôt d'une longue et obsessionnelle attirance vers le passage à l'acte, une attraction quasi magnétique. Et c'est cet élan si puissant qui n'a pas manqué d'être lié à l'occulte."

Dans le même ordre d'idées, l'écrivain et chercheur Andrew Boyd s'interroge sur le pouvoir surnaturel du Oui-ja. Au terme d'une des plus vastes enquêtes jamais faites sur le rôle de l'occulte dans la société, il arrive à cette  conclusion : "Les personnes qui s'aventurent dans l'occulte ignorent tout de ce qu'il comporte d'indéfinissable, de confus, de fausses conceptions de la réalité. Alors, elles peuvent se perdre elles-mêmes dans une zone d'ombre supranaturelle peuplée de mythe, de magie et de morbide. Sans le savoir, avec une belle inconscience, elles travaillent activement à se saper, à détruire leur équilibre, leur bien-être psychologique."

SUR LE FIL DU RASOIR

Dans l'ensemble, on peut raisonnablement affirmer que les citoyens les moins stables psychiquement sont ceux que l'incursion dans l'occulte perturbent le plus. Psychologue à l'Université de Glasgow, le docteur Geoffrey Scobie résume ainsi le problème :"Les gens particulièrement impressionnables - environ 10% de la population - se mettent eux-mêmes en situation de danger en misant sur leurs propres et supposés pouvoirs psychologiques. Et les gens qui sont déjà psychologiquement sur le fil du rasoir sont des victimes virtuelles, prédestinées. Pour ceux-là, le Oui-ja devient une véritable drogue. Plus qu'attirés, ils sont totalement intoxiqués."

Effectivement, pour bien des gens, l'obsession du paranormal, du surnaturel ou de l'occulte se situe bien au-delà de l'intérêt d'un jeu tel que le Oui-ja. En vérité, cette obsession est devenue une raison et une façon de vivre, à l'image de ceux qui, à travers une religion, cherchent un espace de communication différent.

L'enquête continue...



12/10/2007
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